Reprenons où nous avions laissé les choses...
Dans les messages précédents, nous vous avions raconté les premières étapes administratives que nous avions réalisées. En ce qui concerne les démarches incontournables avant d'être déclarés installés, nous étions passés plusieurs fois par la chambre d'agriculture, pour différents diagnostics, nous avions complété notre expérience professionnelle en passant chacun une saison chez un maraîcher bio différent, et nous avions réalisé le stage "21 h" (3 jours de formation) au cours duquel nous avions rencontré d'autres jeunes en cours d'installation, ainsi que certains acteurs à qui nous allons avoir à faire en tant que futurs agriculteurs (MSA, crédit agricole, administration publique,... ).
L'étape suivante, qui a pris plusieurs mois, et qui touche quasiment à sa fin aujourd'hui, est l'élaboration du Plan de Développement Économique (PDE).
Il s'agit d'élaborer une comptabilité prévisionnelle sur 5 ans, qui sera présentée à la banque qui financera les emprunts Jeune Agriculteur, et qui sera ensuite instruite à la chambre d'agriculture, pour être présentée en CDOA (Commission Départementale d'Orientation Agricole) avec le reste de notre dossier.
Le PDE doit être réalisé auprès d'un centre de gestion agréé. Nous avons dû leur apporter un maximum de chiffres, qu'ils ont ensuite travaillés et mis en forme. On nous avait dit que réunir tous ces chiffres serait assez rapide, mais vu la complexité de l'activité que nous avons choisi, si l'on veut faire quelque chose qui tient à peu près la route, il faut prendre le temps de bien construire le projet.
Très souvent en maraîchage, on commence par déterminer un plan d'assolement, afin de voir ce que l'on peut produire, c'est à dire que l'on fixe des surfaces pour chaque culture que l'on souhaite pratiquer, en fonction des parcelles disponibles. On réfléchit ensuite à la manière de commercialiser la production. Ce raisonnement est beaucoup plus simple que l'inverse.
Cependant, comme nous commençons notre activité avec une grande partie des débouchés en AMAP, et afin d'optimiser le contenu des paniers, nous avons raisonné dans l'autre sens :
Nous savions qu'il fallait un minimum de 40 à 50 contrats AMAP (1 panier par semaine par contrat) par agriculteur afin de pouvoir pérenniser notre activité. Nous avons choisi de fournir 50 contrats la première année, plus l'équivalent du volume de 25 contrats en vente à la ferme. À partir de la deuxième année, nous passerons à 80 contrats, en conservant le même volume de légumes en vente à la ferme.
À partir de là, nous avons élaboré tous les paniers, semaine par semaine, sur toute une année, en épluchant les catalogues des semenciers Bio, afin de voir quels légumes il serait possible de produire pour chaque période. Nous avons fixé les quantités de chaque légume pour chaque panier, afin que cela convienne pour une famille de 3 à 4 personnes.
Pour la vente directe, nous n'avons pas toujours conservé les mêmes proportions que pour les paniers : certains légumes classiques seront disponibles en plus grande quantité, comme les pommes de terre, d'autres en quantité moindre, ou sur une période plus courte, comme les fèves et les premières courgettes, et certains ne sont pas prévus pour la vente directe et seront réservés pour l'AMAP, comme les fraises et les asperges.
Nous avons calculé les surfaces nécessaires à semer ou planter pour chaque culture, ainsi que les quantités de graines et plants à acheter. Pour cela, nous avons tenu compte des rendements moyens obtenus en bio, des écartements possibles pour la plantation de chaque culture, et des pertes possibles en cours de culture (ravageurs, maladies, mauvaise germination, météo) ou après cueillette (au cours du stockage).
Nous avons ensuite choisi une grande partie des variétés pour chaque légume, afin d'estimer le coût des semences et des plants. Nous n'achèterons que très peu de plants, car le coût est très important et car le choix des variétés disponibles est assez restreint : en bio, il y a un fournisseur principal pour les plants à repiquer, et il travaille essentiellement avec des variétés hybrides F1 (si certains le souhaitent, nous pourrons justifier notre préférence pour des variétés non-hybrides dans un autre message). En contrepartie, nous savons que produire soi-même ses propres plants à repiquer nécessite beaucoup de travail et de rigueur, un savoir faire dont nous ne disposons pas encore et que nous avons des risques de perte avant plantation... mais pour le moment, les résultats de nos semis sont plutôt satisfaisants.
Nous avons évalué le reste des charges d'exploitation (fertilisation, protection des cultures, carburant, entretien du matériel et des bâtiments, charges de personnel,... ).
Enfin, nous avons dû chiffrer les investissements à prévoir sur les cinq années à venir. Pour l'instruction de notre dossier, il faut fournir tous les devis pour tous les investissements. Dans un des derniers messages, nous vous avions parlé des forages qu'il allait falloir refaire. Cela fait partie des dépenses qui n'étaient pas prévues au départ et qu'il nous a fallu chiffrer au dernier moment.
Petite note entre parenthèses, pour les forages, nous avons également dû commencer les démarches de déclaration et de demande de prélèvement en eau. Afin d'avoir cette autorisation, nous allons devoir faire faire une étude d'incidence par un bureau d'études privé. Coût annoncé.... 3000 € (hors taxes , bien sûr). Ceci n'est qu'un exemple parmi beaucoup d'autres qui illustre les obstacles qui peuvent se présenter lors d'une installation. On comprend que beaucoup de jeunes renoncent à s'installer ! Bref, fin de la parenthèse.
Nous avons donc (presque) réuni tous ces chiffres et devis, nous avons beaucoup échangé avec la personne qui réalise notre Plan de Développement Économique, et nous avons rencontré une première fois le banquier du Crédit Agricole en charge des dossiers d'installation. Là encore, on se demande comment des jeunes qui partent de rien et qui veulent s'installer peuvent y arriver. Nous partons sur un emprunt qui tourne autour de 60 000 € à deux. La plupart du temps, les projets d'installation dépassent largement les 100 000 € d'emprunt pour une seule personne. Il existe un organisme, le SIAGI, qui moyennant certains frais, se porte garant à hauteur de 30 % du montant de l'emprunt après étude du dossier. Si le SIAGI donne son aval, le Conseil Régional se porte garant pour 30 % de plus. Le banquier a exigé que l'on apporte en garantie ou caution les 40 % restants, soit un total de 100 % de garantie ! Comment peut faire un jeune qui n'a presque rien et qui ne veut pas engager la responsabilité d'un proche ?
Notre dossier sera présenté à la chambre d'agriculture la semaine prochaine, et sera alors approuvé ou non par la banque début décembre, puis il passera devant la Commission Départementale d'Orientation de l'Agriculture le 15 décembre.
D'ici là, nous n'avons théoriquement pas le droit de commencer à exploiter, puisque pour être considérés comme jeunes agriculteurs et pouvoir prétendre aux aides à l'installation, nous devons être réputés non-installés. En attendant, il faut bien préparer les cultures de début de printemps, mais... chut ! ne dites rien, ce n'est pas officiel...